CHRONIQUE N°7 : « L’impossible projection dans
l’avenir ».
Nous nous
projetons tous vers le futur.
Qui n’a pas
un projet de sortie, de voyage, de retrouvailles avec sa famille ou avec un
ami, de congrès professionnel, d’aménagement de sa maison, etc. ?
Se projeter
dans le futur tout en vivant pleinement le présent est un le signe d’une bonne santé psychique ; l’aptitude à imaginer
un lendemain est une preuve que notre imagination fonctionne bien, que notre
pouvoir créateur est mobilisé et que nous avons confiance en la vie.
Ce désir de
projection vers le futur est parfois excessif, il démontre alors que nous ne
nous contentons pas du présent, mais il permet aussi de gérer l’anxiété, voire
l’angoisse, qui peuvent être liées au moment actuel.
En cette période
dont l’issue s’avère incertaine, il serait donc fort utile de pouvoir mobiliser
cette vision d’un avenir meilleur. En effet, vivre au présent n’est pas facile
en période de confinement : même si, au cours des précédentes chroniques,
j’ai essayé de donner quelques pistes pour vivre au mieux cet
« espace-temps sous contrainte », il est tout de même difficile de
goûter pleinement aux charmes de l’instant dans le contexte actuel.
Alors, me
direz-vous, « digérons » cette période pénible avec des rêves, des pensées
réparatrices, échappons-nous en élaborant des projets pour le futur, à court ou
à plus long terme !
Hélas, cette
échappatoire dans un avenir projeté semble difficilement mobilisable en ce
moment.
Pour
élaborer des projets, il faut d’abord croire en des lendemains meilleurs.
Or, que nous
réserve l’avenir ?
Comment
anticiper sur la fin de cette crise, quand tous les scénarii présentés par nos
dirigeants, de plus en plus teintés d’irrationalité, nous plongent dans
l’angoisse, ne facilitant en rien une projection réparatrice dans un futur plus
heureux.
En effet, il
a fallu tout d’abord s’adapter à des périodes de confinement reconduites de
quinzaine en quinzaine, empêchant toute projection dans l’avenir puisque
celui-ci n’était pas « balisé » dans le temps.
Aujourd’hui,
nous entrevoyons une possible sortie de confinement, mais attention, ce n’est
pas une certitude, seulement un « objectif » ; sa date peut être
encore remise en question et elle ne concernerait qu’une partie de la
population, l’autre étant invitée à rester confinée.
Ce nouveau
contexte d’incertitude et d’exclusion de ceux qui portent « l’étoile
jaune » de la vieillesse et/ou de la fragilité est on ne peut plus propice
à la résurgence de l’angoisse et, en conséquence, à la révélation de fragilités
psychiques et à l’apparition de
conduites déviantes de tout type.
Nous sommes
loin de l’évocation bienfaisante de pensées positives dirigées vers des
« lendemains qui chantent »…
Une autre
grande carence de la gestion politique de cette crise est la non-prise en
compte de l’importance de son impact
psychologique sur la population.
Comme si le
seul mot de « résilience », employé d’ailleurs à tort et à travers
par nos « tout-puissants » - qui
n’ont, sans doute, jamais pris le temps d’en lire la définition - était le
remède magique, la panacée à tous les dégâts psychologiques subis.
La
résilience n’est pas cette capacité « universelle » à sortir guéri,
voire grandi, d’un événement traumatique. Or c’est ce qu’on essaie de nous
faire croire.
La
résilience est hélas « marginale », elle n’est pas donnée à tous,
elle ne va pas « tomber du ciel », comme un état de grâce, le jour du
déconfinement. Elle est variable selon les circonstances, la nature des traumatismes
subis, le contexte et les étapes de la vie.
Je
consacrerai d’ailleurs une prochaine chronique à ce concept si galvaudé dans
nos médias.
Aucun
soutien psychologique « de masse » (je veux dire par là
« proposé à toute la population ») n’a été mis en place, seules
quelques bonnes volontés ont improvisé au mieux çà et là.
La norme de sortie d'une telle crise,
sans accompagnement psychologique, est le stress post traumatique.
Car
traumatisme il y a, non seulement à cause de l’épidémie mais aussi de sa
gestion désastreuse.
Et quand le
traumatisme a été vécu, ce sont majoritairement des conduites de « décompensation »
qui apparaissent, c’est-à-dire des ruptures des équilibres psychiques.
Alors, il
est difficile, voire impossible, de nous « réparer » en nous
projetant dans l’avenir, même si nous
sommes tous conscients que notre vie ne sera plus jamais ce qu’elle était
avant, parce que, depuis l’apparition de cette crise, le manque de sérieux, de
professionnalisme et d’humanité de nos dirigeants a brouillé, voire occulté, la
ligne d’horizon de cet avenir.
Pour
conclure cette chronique un peu vindicative, j’ajouterai : quand il faudra
affronter le stress post traumatique de la fin de l’épidémie et du
déconfinement et… que nous ne serons pas tous résilients, nos dirigeants se tourneront
peut-être enfin vers ces « obscurs » de la 4ème ou… 5ème
ligne, les psychologues et les psychiatres, mais ce sera sans doute un peu
tard.
Ma douce,
RépondreSupprimerton billet est remarquable, même si je n'approuve pas trop le terme "d'étoile jaune" qui me semble excessif ... mais c'est mon histoire personnelle qui me fait réagir là !
Oui nous sommes en peine, nous sommes contraints, nous n'arrivons pas à nous projeter... j'en ai pris conscience lorsque j'ai contacté tous mes amis du chœur dont nous faisons partie et dont certains m'ont dit qu'ils ne seraient sans doute pas autorisés à sortir dès le 11 mai ni même début juin car ils avaient plus de 70 ans... j'ai compris que je rêvais de sortir, de participer à des activités, de revoir des gens et qu'il me faudrait me calmer ... Le terme "résilience" que notre cher Boris a si bien expliqué, m'a paru complètement déplacé aussi ! J'ai même trouvé cela totalement incongru. Il est vrai que dans mon petit village, la nouvelle mairie a mis en place une cellule "psychologique" ... je suis un peu perplexe car qui assurera le suivi ? Est-ce que ce seront vraiment des professionnels ? Il y a énormément de vieilles personnes dans nos campagnes, et puis la fille de notre voisin (famille adorable) a perdu son jeune compagnon en mars, elle n'a pas pu aller à la cérémonie mais c'est une fille de la campagne, dure à la tâche, une "taiseuse" comme on dit vulgairement, c'est son éducation aussi et malgré mon insistance à essayer de la réconforter, elle ne peut pas parler de son drame, alors quelle est cette écoute psychologique que l'on propose ? Qui osera franchir le pas ?... Tout cela me fait mal.
Dis moi comment va ton père. Le mien survit encore et finalement garde le moral. Quant à Agathe, les symptômes ne se sont pas aggravés, c'est très rassurant.
Je t'embrasse très fort ainsi que toutes les amies qui viennent ici.
Désolée, Ariane, si ce terme "d'étoile jaune" te semble déplacé et te heurte dans ton histoire personnelle, en fait il crie ma colère contre cet "ostracisme" qui est en train de se dessiner vis à vis des plus faibles d'entre nous : les personnes âgées, les malades, ce qu'on appelle prudemment "personnes à risques" et qui, si l'on prend une autre grille de lecture, sont celles qui ne font pas tourner l’économie, improductifs, retraités pour la plupart. Et cette cruauté, ce mépris déguisés en prétendue "protection", me révoltent au plus haut point. Ce sont aussi les personnes vivant dans les EHPAD, celles qui ne sont pas prioritaires en réanimation et qu'on laisse mourir. Avoue qu'une société qui n'est pas capable de soigner correctement ses aînés, de permettre qu'on les accompagne dans leurs derniers moments, n'est pas belle à voir. Car il n'est pas question de rendre visite à son vieux père atteint du COVID 19, pourquoi ? "Parce qu'il n'y a pas de tenues de protection pour les familles, il y en a à peine pour les soignants", voilà la réponse qu'on m'a faite ! Alors, qu'est ce qu'il raconte, notre Président en proclamant le contraire ? Un mensonge de plus ! De même, je n'aurai pas le droit d'accompagner mon père dans ses derniers instants, toujours faute de protections, je n’aurai pas le droit d'organiser ses obsèques, bien qu'on nous dise le contraire, il sera incinéré et, après le déconfinement, je pourrai récupérer ses cendres. Elle te fait penser à quoi, vraiment, cette société discriminatoire ?
RépondreSupprimerSurtout ne crois pas qu'il y ait la moindre colère contre toi dans mes propos, je crie seulement une indignation bien légitime, une douleur très profonde dues à ces mesures si cruelles. Je ne suis pas quelqu'un de violent mais, si je dois passer par ces étapes terribles que l'on m'a décrites, je crains de le devenir...
je vais me calmer un peu et je réponds plus tard à la deuxième partie de ton commentaire. je t'embrasse.
Mon Ariane, je poursuis sur le soutien psychologiques. Dans notre petite ville, nous sommes 5 psychologues et nous nous sommes répartis les personnes en fragilité émotionnelle face à la crise. Il ne s'agit pas d'entamer une quelconque thérapie - et pourtant ce serait une démarche nécessaire pour plusieurs d'entre elles - mais de les rassurer sur des choses souvent "basiques", leur apporter un peu de chaleur et un petit soutien : l'une d'entre elles m'a dit que mes coups de fil étaient une "petite lumière dans ses journées", voilà, ce n'est pas plus que ça. Mais nous n’avons pas eu la prétention d’appeler ça une "cellule psychologique", c'est seulement une antenne téléphonique et je trouve que ce terme suffit amplement pour décrire ce que nous faisons. Je ne sais pas ce qu'il en est chez toi, en tout cas, il vaut mieux que ce soient des professionnels, même si nous ne faisons pas vraiment de la "psychologie". Le pire serait que ce soit fait par des gens qui n'ont aucune connaissance de base dans le domaine. Voilà, mon amie, excuse mon coup de sang de tout à l'heure, mais, avec mon père hospitalisé dans ces conditions et dont l’état ne s'améliore pas, j'ai tendance à me révolter. Je t'embrasse.
RépondreSupprimerC'est moi qui suis désolée de n'avoir pas su passer sous silence ma difficulté par rapport à la comparaison de ce passé terrible dont un des symbole était l'étoile jaune. Je comprends très profondément ta colère et je comprends ton chagrin, ta révolte tous ces sentiments qui sont insupportables lorsqu'il s'agit simplement de pouvoir accompagner ses proches dans leur fin de vie. Oh je voudrais que tu puisses alerter la presse ou je ne sais quel média pour expliquer tout ce que tu as écrit et qu'enfin les responsables au plus haut niveau se bougent urgemment... Pardonne moi. Je t'embrasse très sincèrement et te souhaite d'avoir les ressources suffisantes pour puiser le courage qu'il te faut dans ces conditions pour tenir.
RépondreSupprimerNe t'excuse pas, chère Ariane, chacun fait avec ce qu'il est et avec ses chagrins, présents ou plus enfouis... et je comprends parfaitement les tiens et m'indigne encore aujourd'hui vis à vis de l'horreur à laquelle tu fais référence et que d'aucuns ont tendance à oublier...
RépondreSupprimerIl n' y a vraiment aucun malentendu entre nous.
Je suis très malheureuse, c'est tout et, je vais te dire, cette colère que j'exprime un peu brutalement est en ce moment mon arme anti-chagrin. Avec les larmes, aussi.
Je ne voudrais surtout pas ressortir amère de cette épreuve, je voudrais retrouver, non pas mon insouciance et un certaine légèreté, mais mon empathie, mon humanité, intactes. Je pense que tout cela reviendra, mais en attendant, je m'indigne !
Merci pour ta réponse, ton soutien, ces liens que nous avons toi et moi grâce auxquels nous pouvons tout nous dire. Je t'embrasse.
Mais bien sûr mon amie douce, et ta colère est non seulement justifiée mais saine et nécessaire. Et je sais que nous serons nombreux sans doute à avoir définitivement perdu notre légèreté, notre naïveté mais pas notre capacité à l'empathie et notre humanité parce que ce sont des valeurs profondément ancrées chez beaucoup d'êtres humains. Nous ressortirons aussi sans doute plus aptes à la rébellion devant l'injustice et c'est tant mieux. Je voudrais te serrer dans mes bras et te consoler aussi.
SupprimerEt j'ajoute que ta colère est une forme d'empathie, preuve qu'elle restera à tout jamais en toi. Je t'embrasse fort.
SupprimerMerci, mon Ariane, tes mots me vont droit au cœur, je t'embrasse très fort.
SupprimerTa colère est parfaitement justifiée, Claude. Certes elle est un moyen de résister dans les moments présents mais elle ne devra pas disparaître par la suite si l'on veut que les choses changent un peu.
RépondreSupprimerJe ne sais pas trop comment quand nous regardons notre personnel politique. Aux dernières élections les 3 candidats arrivés en tête étaient tout de même un voleur et menteur, une raciste et un banquier! Il y a des années que nous ne votons plus au second tour pour un programme mais contre une famille et ses idées nauséabondes.
Ce que tu vis et que vivent beaucoup de personnes ayant un parent en maison de retraite est indigne d'une nation civilisée au XXIe siècle.
Aujourd'hui il y a tout de même eu une petite victoire de l'opinion publique avec l'abandon des crotères d'âge ou autres pour le déconfinement après le 11 mai. Bon, c'était surtout je pense illégal et anticonstitutionnel. Ce n'est pas par respect ou empathie. Mais c'est tout de même une petite victoire que l'on nous permette de décider si nous voulons sortir ou pas après le déconfinement.
Comment va ton père, Claude? Et celui de Jean? Ne pas pouvoir vous en rendre compte par vous-mêmes est terrible.
Essayez de conserver un peu de courage, même puisé dans la colère.
Nous vous embrassons bien fort tous les deux.
Merci, Marie-Paule, en ce moment tous ces petits mots et ces témoignages d'amitié que vous me manifestez me font beaucoup de bien. Je n'ai pas de nouvelles de mon père aujourd'hui, c'est le week-end et la psychologue ne travaille pas, j'essaierai vers 17 heures d'avoir au téléphone une infirmière. J'ai toujours quelques scrupules à les déranger car je sais dans quelle précarité elles travaillent mais je ne peux pas tenir si je n'ai pas de nouvelles... Alors nous choisissons le créneau qui les dérange le moins et nous faisons avec notre angoisse.
SupprimerQuant au père de Jean, il est au moins chez lui, avec son épouse, même s'il s'enfonce un peu plus chaque jour dans sa maladie d’Alzheimer...
Et pas le moindre projet de voyage pour s'évader un peu dans un avenir plus souriant, nos devons trouver nos forces en nous...
Comme tu le dis parfaitement, il y a eu, quand même, une petite victoire contre la discrimination des personnes âgées et fragiles mais, tout comme toi, je ne suis pas dupe, ce n'est pas par empathie mais effectivement parce que c'était anticonstitutionnel. Mais j'ai détesté cette proposition, que j'ai interprétée comme un "ballon d'essai" pour savoir jusqu'où ILS pouvaient aller dans l'ostracisme.
J'ai eu 65 ans il y a trois semaines donc je fais bien partie de ces "citoyens de seconde zone"... des citoyens qui sont bien décidés à se faire entendre et à demander des comptes, après !
Cette colère-là ne s'éteindra pas, je voulais simplement dire en répondant à Ariane que je ne voudrais pas devenir, "après", l'une de ces personnes aigries et haineuses que je déteste par ailleurs.
Nous aussi nous vous embrassons tous les deux, j'espère que vous avez du beau temps en Grèce car ici, c'est gris et... triste.
Je lis les nouvelles de ton père et de celui de Jean, je suis de tout cœur avec vous. C'est tellement dur.
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